"La Grèce est arrivée au point de non-retour" (Les Echos 30.06.2015)

La Grèce est arrivée au point de non-retour.

La négociation entre Bruxelles et Athènes est devenue au fil des jours de plus en plus conflictuelle. L’Europe réclame plus d’efforts en échange de son aide, la Grèce dit ne pas pouvoir aller plus loin. Où est la vérité ? Qui ment ? Les deux parties ont leurs arguments, évidents et cachés. Du côté de l’évidence, Bruxelles a un intérêt stratégique à un fonctionnement équilibré du système économique de la zone euro, et par extension au bien-être de la communauté européenne. Il appartient à la Grèce, en tant que pays de cette communauté, de s’harmoniser avec les règles qui s’appliquent à tous les autres pays. Mais il existe un aspect plus occulte dans l’insistance de Bruxelles à faire plier le gouvernement grec.

C’est le souhait d’affaiblir une équipe de gauche qui ne parle pas le langage social-démocrate et lève haut son étendard de révolutionnaire communiste, mettant l’accent sur son opposition à la politique économique européenne. Un gouvernement qui refuse de s’intégrer dans la réalité européenne actuelle et qui, à la première occasion, se sert des soulèvements de population ou des mouvements de résistance d’indignés pour contester les décisions de l’Europe. Une pratique qui n’est pas sans rappeler les rodomontades marxisantes et absurdes du type Chavez au Venezuela.

Pourtant, le gouvernement grec actuel n’a pas pris le pouvoir en promettant le « paradis communiste », mais en promettant à tout le monde de mieux négocier avec les créanciers et de se mettre d’accord avec eux sur des mesures moins rigoureuses pour les Grecs que celles du précédent gouvernement. Choses que ne reflète pas le cours des négociations menées jusqu’ici. Par conséquent, la relation de confiance entre Bruxelles et Athènes s’est altérée. Et il est logique que l’Union européenne adopte tacitement l’idée d’un « échec » du gouvernement grec, même si le risque géopolitique au sud de l’Europe est majeur.

Athènes, de son côté, a sa propre duplicité stratégique. Son refus de coupes supplémentaires dans les salaires et les pensions, son souhait de voir sa dette aménagée, voire réduite, sont des arguments recevables. Mais, en retour, la Grèce ne fait jamais aucune proposition chiffrée, elle rechigne à un contrôle financier jugé inutile, elle oppose en permanence des lignes rouges de refus à la table des négociations, et à la moindre occasion accuse l’UE de tous les maux à la face du monde, empoisonnant l’atmosphère propice à un accord. Pourquoi agir ainsi ? N’y a-t-il aucun intérêt à parvenir à cet accord ? Ici intervient la stratégie occulte du gouvernement grec : soit il veut pousser ses citoyens jusqu’aux limites de l’épuisement mental, de manière à ce que, lorsque surviendra le douloureux accord, il obtienne leur consentement après une bataille « féroce » qu’il a menée pour le bien de la patrie. Soit il a décidé que le temps est venu d’entrer en conflit avec les créanciers et de sortir de l’euro et de l’UE, en incriminant à cet effet la politique européenne et son intransigeance.

Ce qui signifierait qu’il s’est déjà tourné vers Poutine ou la Chine. Quoique nous n’ayons aucun indice de soutien direct de la partie russe, n’importe laquelle des solutions qu’on vient de voir ci-dessus entraînerait la Grèce vers un type de populisme maladif qui se nourrit de narcissisme nationaliste, entraîne la disparition de la démocratie, interdit toute modernisation future et, par dessus tout, suppose une manipulation totalitaire de l’information et de la liberté, d’après le modèle « révolutionnaire » d’Antonio Gramsci. Une telle évolution serait pénible à la fois pour les partenaires européens de la Grèce mais aussi pour la Grèce, elle-même, qui se trouverait ainsi divisée par une controverse incontrôlable entre droite et gauche, au détriment de la civilisation, des institutions et des citoyens du pays.

Par Demosthenes Davvetas